J’ai rencontré, lors de mon séjour à Edmonton (Alberta) dans le cadre de la Conférence mondiale sur le bénévolat, plusieurs personnes de toutes les provinces et de tous les pays. Belle occasion de pratiquer mon anglais et de me réjouir du fonctionnement nord-américain du volontariat. Et puis, j’ai rencontré Maurice…
Professeur de philosophie en Afrique centrale, Maurice est aussi bénévole dans un centre pour femmes sidéennes, en plein cœur du continent natal de Nelson Mandela. C’est fatiguant un philosophe, ça pose des questions tout haut, ça élucubre sur des sujets parfois simplistes et trop souvent profonds, ça t’oblige à te concentrer, c’est sérieux un philosophe…
Ne parlant que le français et subissant un choc culturel des plus évidents, Maurice nous a suivi souvent lors de la semaine de la conférence. Philosophe et collant, de surcroît… Tout pour plaire!
Il pose des questions existentielles notre Maurice; il trouve que les canadiens mangent et gaspillent trop. Aussitôt, notre assiette prend vie et nous incite à ne pas laisser de trace; même un reste de carottes devient culpabilisant…
Il est « casseux de party » notre Maurice; en pleine session de moto-marine ultra-électro-informatique avec mon ami François, lui aussi du Canada, il nous pose la question, comme dans un extrait du Petit Prince de Saint-Exupéry :
- « Pourquoi aimes-tu ce jeu ? », faisant allusion à la réelle importance d’un tel jeu dans ma vie.
- « Heu… parce que… c’est le fun… ça fait sortir mon stress ! », répondis-je nerveusement.
Je répondais du mieux que je pouvais, ayant pourtant la parole facile. Jamais je ne m’étais trouvé aussi superficiel. Ah ! les philosophes, ils ont le tour de nous faire réfléchir quand ce n’est pas le moment…
En fait, je crois, malgré le fait que je ne trouvais plus aucun plaisir à profiter du monde virtuel que l’Occident m’offrait, que notre Maurice m’a conscientisé, bien que bêtement, à la réelle valeur de l’implication communautaire, celle qui va au-delà des artifices et de la luxuriante beauté matérielle de nos modes de vie.
Dans son pays, l’engagement bénévole est plus qu’une évasion du quotidien, plus qu’une distraction entre le lever du soleil et le téléjournal de 22 heures. C’est un contrat de survie, un appel au développement de sa nation, des femmes et des enfants de son peuple.
Qu’en est-il de mes implications communautaires ? Sont-elles infinies comme mon assiette ? Sont-elles aussi futiles que mes jeux vidéo ? Est-ce que, du mieux que je peux, je peux moi aussi contribuer au développement de mes frères et sœurs ?
Les philosophes sont des traîtres, ils frappent là où notre conscience prend fin, afin de nous faire part de notre inconscience.
Sacré Maurice…
Texte rédigé en 1998 par Steve Brunelle, 23 ans, alors bénévole au Centre d’action bénévole de la MRC de Bécancour et coordonnateur de la Corporation de développement communautaire de la MRC de Bécancour.